Un bûcher sous la neige

Un bûcher sous la neige; de Susan Fletcher
Publié aux Éditions Plon, 2010 – 390 pages
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Au coeur de l’Ecosse du XVe siècle, Corrag, jeune fille accusée de sorcellerie, attend le bûcher. Dans le clair-obscur d’une prison putride, le révérend Charles Leslie, venu d’Irlande, l’interroge sur les massacres dont elle a été témoin. Mais, depuis sa geôle, la voix de Corrag s’élève au-dessus des légendes de sorcières et raconte les Highlands enneigés, les cascades où elle lave sa peau poussiéreuse. Jour après jour, la créature maudite s’efface. Et du coin de sa cellule émane une lumière, une grâce, qui vient semer le trouble dans l’esprit de Charles.

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☞ une forme particulière
Le récit est atypique, puisque tout le roman n’est en fait qu’un long monologue, celui de Corrag dévoilant son histoire avec candeur, simplement entrecoupée par les quelques lettres que Charles Leslie envoie à son épouse. Cela peut déstabiliser au départ, voire être un peu longuet par moments.
Pourtant, tout est beau dans l’écriture de Susan Fletcher, et bien que le récit soit écrit en prose, l’aspect poétique n’est pas loin, tant le texte se rapproche d’une ode à la nature et à l’amour.

☞ le portrait d’une femme
Corrag raconte sa courte vie à un prêtre dont l’unique intérêt, au début du roman, est d’obtenir son témoignage sur un épisode particulièrement tragique, qui pourrait être utile à sa cause de jacobite.
La jeune fille se révèle alors petit à petit à cet homme de Dieu, lui contant quel fut son destin tragique, sa fuite perpétuelle loin des hommes qui lui jettent des pierres et de vilains mots, mais aussi son mode de vie en phase avec la nature. Émouvante dans sa manière de s’émerveiller de tout, elle sait soigner grâce aux plantes et vit de trois fois rien. Il en ressort le portrait d’une femme courageuse et altruiste, sans une once de méchanceté en elle, contrairement à ce dont on l’accuse.

☞ l’Ecosse en long, en large, en travers
Si Corrag se raconte au révérend, elle lui dresse également le portrait d’un pays, de sa géographie à son contexte historique délicat.
Les talents de conteuse de la jeune fille sont tels qu’on se croirait soi-même sur les hautes terres d’Ecosse. Elle rend compte à merveille de la nature omniprésente, à travers la description des lochs, des diverses plantes et cerfs sauvages dont elle croise la route. Plus encore, elle décrit à merveille les hommes qui peuplent ces terres : à l’image de paysages qui les entourent, les highlander sont rudes, mais aussi terriblement fiers, et hospitaliers.
Mais Corrag se fait aussi témoin de son époque. Car au XVIIe siècle, le roi Guillaume d’Orange détient le pouvoir en Ecosse, au désespoir des jacobites, qui lui résistent et souhaitent réhabiliter Jacques, l’héritier des Stuart, actuellement en exil. C’est dans cette bataille informelle pour le trône d’Angleterre qu’aura lieu le massacre de Glencoe, dont sera témoin Corrag.

☞ une belle leçon d’humanisme
On trouve au fil des pages un véritable réquisitoire à la tolérance et à l’acceptation des différences, et c’est sans aucun doute le personnage de Charles Leslie qui incarne le plus cet aspect.
Cet ecclésiastique irlandais a l’esprit étroit au départ, mais se dégèle peu à peu, tandis qu’il découvre l’histoire de la soi-disant sorcière. Les lettres qu’il écrit à son épouse représentent à merveille cette transformation : là où il n’était que conseils et prières, il finit par dire l’amour et la tolérance, bouleversé qu’il est par son empathie pour Corrag. 

Au final, Un bûcher sous la neige est un récit totalement envoûtant, qui nous transporte hors du temps. De sa magnifique écriture, Susan Fletcher nous dépeint un pays à la fois beau et hostile, sur fonds de vieilles légendes et de querelles entre clans. Triste, mais pourtant rempli d’espoir, ce roman émouvant donne envie de se jeter sur l’oeuvre de l’auteure ! 

En bref :
– une narration particulière
– un beau portrait de femme atypique
– un contexte historique tumultueux
– un récit à l’encontre des préjugés

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La vengeance des mères

La vengeance des mères; de Jim Fergus
Publié chez Le Cherche Midi, 2016 – 464 pages 

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Dans le but de favoriser l’intégration, un chef cheyenne propose au président Grant d’échanger mille chevaux contre mille femmes blanches pour les marier à ses guerriers. Grant accepte et envoie dans des contrées reculées les premières femmes, pour la plupart recrutées de force dans des pénitenciers ou des asiles du pays. En dépit de tous les traités, la tribu ne tarde pas à être exterminée par l’armée américaine, et quelques femmes blanches seulement échappent à ce massacre.
Parmi elles, deux sœurs, Margaret et Susan Kelly, qui, traumatisées par le comportement sanguinaire de l’armée, refusent de rejoindre la civilisation. Après avoir trouvé refuge dans la tribu de Sitting Bull, elles vont prendre le parti du peuple indien et se lancer, avec quelques prisonnières des Sioux, dans une lutte désespérée pour leur survie.

4Il y a quinze ans de ça paraissait Mille femmes blanches, le roman phare de Jim Fergus. Peu intéressée par la culture indienne d’une manière générale, le livre ne m’avait jamais tentée plus que ça. Et puis, sur les conseils d’une collègue bibliothécaire, je m’étais lancée et avait énormément apprécié ma lecture. C’est donc avec enthousiasme -mêlé de quelques craintes- que j’ai emprunté la suite à la médiathèque !

Le roman reprend là où s’arrêtait le précédent : l’attaque du camp cheyenne de Little Wolf, durant lequel femmes, hommes et enfants furent massacrés sans aucune pitié par l’armée américaine. 
Sur la forme, La vengeance des mères ressemble étrangement à son prédécesseur
, puisque c’est au travers de carnets que l’on suit la fuite de tribus indiennes à travers le vaste territoire nord-américain. Les faits nous sont d’abord relatés par les jumelles Margaret et Susan Kelly, que l’on suivait déjà plus ou moins dans le premier tome. En parallèle, on suit l’intégration de Molly, qui fait partie d’un autre convoi de femmes blanches destinées à venir vivre avec les Indiens.

Molly étant une femme cultivée, son style à l’écrit est radicalement différent de celui de ses comparses irlandaises qui n’ont pas pu bénéficier de la même éducation : elles ont donc tendance à utiliser un langage plus châtier et ne mâchent pas leur mots !

Je reconnais à Jim Fergus le talent de construire des personnages très attachants de par leur histoire personnelle ou leur manière d’être. Molly m’a particulièrement plu pour son côté femme forte et déterminée (voir carrément têtue par moments !), tandis que j’ai redécouvert les jumelles Kelly dans un autre contexte : celui de la soif de vengeance qui les anime toutes les deux, suites au massacre de leur tribu d’adoption, et surtout de leurs nouveaux-nés. Toutes ces femmes de milieux différents se rassemblant autour de leur peine respective, jusqu’à prendre les armes pour défendre la cause indienne, m’ont beaucoup touchée.

Pour moi, La vengeance des mères fut une lecture sympathique mais qui présente trop de similitudes avec son prédécesseur : c’est là son seul défaut. Une fois de plus, Jim Fergus dépeint plusieurs portraits de femmes qui restent en mémoire et nous offre une belle aventure dans les grands espaces qu’il affectionne. Au delà de l’hymne à la nature, on retrouve un beau récit sur les coutumes et le mode de vie des Cheyennes, ainsi que sur l’histoire des Etats-Unis.

En bref :
de beaux portraits de femmes engagées
– un dépaysement garanti
– des ressemblances par rapport au premier opus