Point BD #3 : dernières découvertes !

Ma dernière virée en librairie BD pour le travail a été l’occasion de faire de jolies découvertes, dont j’avais évidemment très envie de parler par ici ! Après l’article sur mes dernières trouvailles en jeunesse, voilà l’équivalent pour les ados/adultes !


Le Petit vagabond ; de Crystal Kung
Publié aux Éditions EP, 2017 – 80 pages

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Le Petit vagabond c’est un très joli recueil de six histoires courtes sans paroles mettant en scène divers personnages dans des cadres variés comme le Tibet ou New York. Cela va de l’artiste désemparée au randonneur égaré dans la brume. C’est aussi, pour l’une des histoires, un court-métrage à voir juste ici.

Servant de fil conducteur entre les différents récits, le petit vagabond prend les traits d’un jeune garçon qui aide les protagonistes à retrouver leur chemin, vers eux-mêmes ou vers les autres. Si chacun est triste, nostalgique ou bien solitaire au début de l’histoire, leur rencontre avec ce drôle de petit bonhomme les apaise et leur offre en général de nouvelles perspectives.

Soyons honnêtes, c’est avant tout pour ses merveilleuses illustrations que l’album attire l’oeil ! Le travail graphique fourni par l’artiste taïwannaise est vraiment incroyable : à l’aide de couleurs chaudes et enveloppantes, elle parvient à nous offrir une oeuvre délicate, hors du temps et pleine de tendresse.

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☞ Personne ne peut rester indifférent au travail de Krystal Kung, tant il transporte vers un ailleurs de toute beauté !  Par son aspect très contemplatif, chaque saynète invite à la réflexion. Le Petit vagabond fait partie de ces trésors que l’on se doit d’avoir dans sa bibliothèque pour le feuilleter à loisir. 


 Ceux qui restent ; de Josep Busquet & Alex Xöul
Publié aux Éditions Delcourt, 2018 – 128 pages

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On connait tous au moins un récit dans lequel les enfants quittent brusquement leur foyer pour aller vivre des aventures fantastiques dans on ne sait quel royaume lointain ou univers parallèle (Peter Pan, Narnia, ça vous parle ?). Mais ce qu’on a moins l’habitude de voir, c’est ce qu’il advient des parents éplorés pendant la -plus ou moins longue- absence de leur rejeton…
Et c’est justement sur cet aspect là que se concentrent les auteurs de Ceux qui restent : on ne s’attarde pas du tout sur les aventures de l’enfant, mais plutôt sur ses proches qui doivent faire face et comprendre son absence.

Comment diable expliquer aux enquêteurs que son fils est parti affronter un dragon ou sauver une planète ? Et surtout comment justifier la réapparition soudaine de ce dernier ? Car à partir de cet instant, les soupçons extérieurs et autres théories du complot commencent à voir le jour : là commence le véritable cauchemar des parents.

Josep Busquet présente avec justesse l’éclatement d’une famille dépassée par les évènements et sévèrement jugée par ses semblables. Il insiste aussi sur le traumatisme que de tels voyages peuvent engendrer : les enfants se détachent complètement de la réalité, sont en décalage avec leurs proches car le temps ne s’écoule pas forcément de la même manière dans la réalité que dans le monde fantastique où ils mettent les pieds.

Mis en image avec finesse par Alex Xöul, l’album dégage beaucoup d’émotion, notamment grâce aux  couleurs douces et passées des planches. 

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☞ One-shot sympathique et prenant, Ceux qui restent prend le contre-pied des schémas classiques pour proposer une réflexion intéressante sur l’envers des contes. Alex Xöul a su utiliser les bonnes teintes pour mettre en avant la nostalgie de l’histoire et nous livre un album émouvant et original.


Imbattable (deux tomes) ; de Pascal Jousselin
Publié aux Éditions Dupuis, 2018 – 48 pages

Imbattable, c’est ce héros masqué et bedonnant (Oh, mais qu’y a-t-il sur son costume ? Je vous le donne dans le mille : une planche de bande-dessinée !) qui épate par ses méthodes d’investigation. Et pour cause, le bonhomme utilise les codes de la bande dessinée pour sauter d’une case à l’autre, ou s’envoyer des missives depuis le bas de la page, ce qui lui donne toujours un temps d’avance sur les vilains qu’il poursuit ! 

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Un exemple est plus parlant que mille mots :

Le premier tome m’a tout bonnement fascinée (et que je me suis bidonnée !) mais il me semblait compliqué de faire durer le concept au delà d’un opus. Pourtant, les petites histoires d’Imbattable ne perdent pas de leur intérêt dans le deuxième tome, Pascal Jousselin débordant d’inventivité ! En plus du traditionnel savant fou, l’auteur dote ainsi notre super-héros d’un acolyte capable de jouer avec les perspectives, mais aussi d’un vilain à la hauteur de ses talents. 

☞ Grand terrain de jeu pour l’auteur, et encouragement à une lecture déconstruite et amusante, la série Imbattable est difficile à décrire tant tout passe par le visuel ! En tout cas, la magie opère dès les premières pages, en faisant une bande-dessinée idéale à partager en famille. 

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Point BD #2 : de la bande-dessinée jeunesse engagée

Ayant fait une virée en librairie spécialisée BD récemment dans le cadre du travail, (rien de tel que d’entasser les livres sur un chariot quand on sait qu’on ne dépensera pas ses propres deniers !) j’ai dévoré pas mal de mangas et bandes-dessinées de tous horizons : en voilà un premier aperçu -le reste suivra sous peu j’espère !- avec trois BD jeunesse abordant des thématiques importantes (écologie, harcèlement scolaire, condition de la femme).


Aubépine T1 : Le génie Saligaud ; de Karensac & Thom Pico
Publié aux Éditions Dupuis, 2018 – 99 pages

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Prévue en quatre tomes -chacun se déroulant à une saison différente-, cette nouvelle série imaginée par Karensac m’a beaucoup enthousiasmée !

Pour raisons professionnelles les parents d’Aubépine décident de déménager dans un trou perdu à la montagne. Seulement voilà, il n’y a rien dans le coin, personne à qui parler et rien à faire… Pendant que sa mère s’efforce de trouver une solution pour protéger les oiseaux locaux (on notera le message écologique présent en fond, qui prône le respect de l’environnement et la préservation d’espèces menacées), Aubépine, elle, s’ennuie à cent sous de l’heure. Qu’à cela ne tienne, elle ira vagabonder dans les montagnes, où elle fera d’étranges rencontres ! Une mystérieuse bergère lui offre ainsi un chien à l’allure étrange, puis un mystérieux génie croise la route de la petite fille. Comme tout bon génie qui se respecte, il  propose de lui accorder trois voeux, ce qui, on s’en doute, va provoquer quelques bouleversements et entraîner les deux comparses dans une aventure tumultueuse ! (Surtout quand on réfléchit deux secondes à son nom -Saligaud- qui n’a pas été choisi au hasard !)

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On pourrait être tentés de rapprocher l’histoire des célèbres récits de Heidi, ou de Belle et Sébastien. Pourtant, Aubépine casse la baraque et brise complètement les clichés de la petite fille un peu perdue face à l’immensité à laquelle elle n’est pas habituée : son isolement forcé est simplement un très bon prétexte à la faire vivre des aventures rocambolesques !
Héroïne impertinente, râleuse, curieuse et obstinée, elle incarne un personnage auquel les enfants ne tarderont pas à s’identifier ! (moi-même, je l’ai adorée !)

Aubépine annonce un vent de fraicheur sur la bande-dessinée jeunesse ! Avec un scénario rythmé, une héroïne très charismatique, et le dessin à la fois pétillant et expressif de Karensac, l’album s’avère très réussi et entraîne les jeunes lecteurs dans une drôle d’aventure !


Chaque jour Dracula ; de Loïc Clément & Clément Lefèvre
Publié aux Éditions Delcourt, 2018 – 48 pages

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Vous le savez désormais, je porte une tendresse particulière aux bandes-dessinées scénarisées par Loïc Clément depuis ma découverte du brillant Le Temps des mitaines, de l’émouvant Chaussette et du rafraîchissant Les jours sucrés. J’attendais donc avec impatience sa prochaine parution !

Toujours plein d’inventivité, il imagine que Dracula, avant d’être l’une des figures emblématiques du vampire que l’on connait, a du, lui aussi, aller à l’école. Seulement, pas facile de fréquenter un établissement pour humains quand on a certaines particularités… Moqué pour son sérieux en classe et ses différences physiques, (canines proéminentes, lueur rouge dans les yeux, teint blafard qui lui évite les séances de sport) Dracula endure le pire jour après jour.

Violence à l’école, sentiment d’exclusion, honte d’en parler aux proches :  tout est amené avec finesse, en gardant une atmosphère légère et des touches d’humour qui contrebalancent le malaise ressenti face au harcèlement. Ainsi, l’auteur n’oublie pas d’accorder à son héros quelques moments de calme et de tendresse : l’amitié de sa camarade de classe Mina, les câlins avec sa chauve-souris apprivoisée, les discussion avec Vlad, papa poule de compétition etc.

Chaque jour Dracula véhicule un message positif quant aux situations de harcèlement : on laisse ici la vengeance de côté pour de trouver une autre solution à ce mal-être. L’auteur incite aussi à la tolérance en montrant qu’accepetr et cultiver sa différence est souvent la meilleure manière de faire face à ses bourreaux. 

Une fois de plus, Clément Lefèvre propose des planches d’une beauté singulière ! (rappelez-vous de son travail incroyable sur L’incroyable peur d’Epiphanie Frayeur) Les teintes employés donnent une ambiance onirique à l’ensemble, tandis que le dessin très expressif fait ressortir la fragilité du petit Dracula. Il ne lésine pas non plus sur les détails autour du folklore du vampire : cercueil en guise de lit, fantômes et squelettes vaquant dans le manoir, chauve-souris en guise d’animal de compagnie etc.

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☞ Très touchante par le sujet choisi et la manière dont il est traité, Chaque jour Dracula  peut s’adresser aussi bien aux enfants qu’aux parents, et permettra peut-être d’ouvrir la  discussion sur un sujet encore un peu tabou : le harcèlement scolaire. Porté par de superbes illustrations, c’est un album à mettre absolument entre toutes les mains !


Calpurnia ; de Daphné Collignon & Jaqueline Kelly
Publié aux Éditions Rue de Sèvres, 2018 – 90 pages

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Adaptation du roman éponyme de Jacqueline Kelly paru chez L’Ecole des loisirs, Calpurnia comportera apparemment deux tomes.

L’autrice nous amène quelque part au Texas à l’aube du 20e siècle. Là, dans une famille typiquement bourgeoise, Calpurnia, onze ans, se pose beaucoup de questions sur ce qui l’entoure. Seul son grand-père, un vieil homme taciturne et un peu excentrique, semble être à même de répondre à ses questions. Ne reste plus qu’à l’affronter pour qu’il accepte de l’initier aux mystères de la nature !

A mi-chemin entre la bande-dessinée, le roman graphique, et le carnet d’observations scientifiques, Calpurnia offre une réflexion intéressante sur la condition féminine de l’époque, l’adolescence et ses petits bouleversements, ainsi que sur la nature. J’ai d’ailleurs beaucoup apprécié la façon dont Daphné Collignon mélange le quotidien familial fait de secrets, d’amourettes et de petites disputes, aux recherches scientifiques qu’effectuent Calpurnia et son grand-père. 

A des kilomètres des clichés que l’on peut rencontrer, la jeune fille est une héroïne à la fois brillante, enthousiaste et curieuse de tout. A une époque où la société la prédispose à devenir une bonne épouse sachant simplement jouer du piano et broder comme il faut, elle sort des sentiers battus en décidant de se consacrer à l’étude de la nature.

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Les tons chaleureux et l’aspect vaporeux qui se dégagent des illustrations contribuent à faire de l’ouvrage un régal pour les yeux, le mélange BD/livre illustré rajoutant encore au plaisir ! 

☞ C’est un joli moment hors du temps que nous offre Daphné Collignon avec cette bande-dessinée tout public qui plaira aussi bien aux enfants qu’à leurs parents (on aurait bien tord de bouder son plaisir) ! Visuellement, chaque planche est un petit bonheur, et on se laisse facilement porter par cette histoire à la fois émouvante, drôle et passionnante. Vivement la suite !

Le Veilleur des brumes : un petit bijou !

Le Veilleur des brumes; par Robert Kondo & Dice Tsutsumi
Publié chez Grafiteen, 2018

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Au dessus de Val-de l’Aube se dresse le Barrage : une immense muraille de bois coiffée d’un moulin. Lui seul tient à distances les brumes mortelles qui ont englouti le reste du monde. Depuis la mort de mon père, je suis responsable du Barrage. Une bien grande responsabilité pour un petit garçon. Mais telle est ma mission. Je m’appelle Pierre. Je suis le veilleur des Brumes.

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La particularité de cette bande-dessinée, c’est qu’il s’agit de l’adaptation du court-métrage multi primé « The Dam keeper » dont je vous glisse le lien juste ici -bande de veinards- ! (Attention, risque de spoilers ceci dit !) Après la réalisation de ce petit film, Robert Kondo et Dice Tsutsumi ne se voyaient pas s’arrêter en si bon chemin, et ils ont eu raison ma foi !

Les auteurs ont tous deux fait leurs armes aux studios Pixar, notamment sur les films Toy Story 3 ou Monster University. Habitués aux univers forement marqués par leur direction artistique, ils ont su tirer partie de leur expérience et insuffler une dimension vraiment unique au Veilleur des brumes.
En tournant les pages, on a parfois du mal à réaliser que l’on est bien dans une bande dessinée : l’ambiance est complètement onirique, grâce à la colorisation employée et aux dessins un peu floutés. Le travail sur la lumière vaut complètement le détour, de même que les illustrations tout en rondeur qui caractérisent les personnages antropomorphes : une merveille à contempler page après page !

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Mais au delà de l’aspect visuel exceptionnel, c’est également la qualité du scénario qui fait de cette bande dessinée un must have ! 

Présentons d’abord Pierre : ce petit bout de cochon porte sur ses frêles épaules (oserais-je dire jambonneaux ? Allez, j’ose !) la responsabilité de toute la ville puisqu’il doit assurer l’entretien du moulin, la machine inventée par feu son papa pour garder les brumes éloignées… Eh oui, comme si ça ne suffisait pas à son malheur, il s’avère que Pierre est orphelin depuis que son paternel s’est jeté dans les brumes par désespoir  suite à la mort de sa femme. Vous suivez toujours ? Avec ça, Pierre vit donc seul et continue de fréquenter l’école où tout le monde l’ignore consciencieusement alors qu’il est pourtant le seul garant de leur survie #maisoùestlalogique.

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A ce moment-là j’étais à peu près dans cet état.

Suite à un évènement étrange, Pierre se retrouve avec deux de ses camarades à l’extérieur de la ville fortifiée, ce qui leur permettra d’en savoir plus sur ce qui se passe à l’extérieur. Ce qui débutait comme un récit fantastique nimbé de mystère prend alors la forme d’une quête initiatique aux multiples dangers (ben oui, parce qu’à l’extérieur de Val-de l’Aube, le monde a l’air dévasté et plein de phénomènes étranges.

Profondément émouvante, l’oeuvre arrive à intégrer des thématiques universelles comme le sentiment de rejet, le harcèlement, la résignation ainsi que la perte d’un être cher. Certaines scènes m’ont brisé le cœur, mais participent à la crédibilité attendue par les personnages.

Le Veilleur des brumes fait partie de cette tendance actuelle de la bande dessinée jeunesse à offrir aux enfants des oeuvres de qualités qui ne les prennent pas pour des neuneus (et c’est pas plus mal !). Ainsi, même si le titre est paru chez Grafiteen -la collection de BD pour ados de Milan- les aventures de Pierre sauront séduire tous les âges grâce à sa quête initiatique à l’ambiance sombre et aux dessins exceptionnels que proposent les auteurs.

☞ Audacieuse et grand public cette bande-dessinée fait partie des trésors que je chérirai et recommanderai à tout va autour de moi ! Elle a le mérite de tenir en haleine le lecteur par la découverte d’un univers un peu étrange, propose une aventure mystérieuse et une ambiance sombre comme on en voit peu en littérature jeunesse. Si on ajoute à ça la beauté de l’objet livre et la poésie qui se dégage des illustrations, je ne vois pas ce que vous attendez pour foncer chez votre libraire !

Boudicca, femme forte et inspirante ♀

Boudicca ; de Jean-Laurent Del Socorro
Publié aux Éditions Actu SF, 2017 – 288 pagesa

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Angleterre, an I. Après la Gaule, l’Empire romain entend se rendre maître de l’île de Bretagne. Pourtant la révolte gronde parmi les Celtes, avec à leur tête Boudicca, la chef du clan icène. Qui est cette reine qui va raser Londres et faire trembler l’empire des aigles jusqu’à Rome ?

À la fois amante, mère et guerrière mais avant tout femme libre au destin tragique, Boudicca est la biographie historique et onirique de celle qui incarne aujourd’hui encore la révolte.

Figure phare et pourtant méconnue de l’histoire de l’Angleterre, Boudicca est ici mise en lumière par Jean-Laurent Del Socorro, qui porte un brillant hommage à l’une des premières féministes de l’Histoire.

« Je n’ai pas besoin de lui car j’assume désormais d’être une de ces solitaires qui n’existent que par elle-même là où d’autres ne peuvent vivre qu’en meute. Je laisse bien volontiers les mots à Pratsutagos. Je n’ai définitivement besoin que du silence. »

La plume de l’auteur a le mérite d’être accrocheuse : il ne s’embarrasse pas de fioritures et va droit à l’essentiel, à l’image même de Boudicca, cette reine plus à l’aise au maniement des armes que des mots. Le tout donne un style agréable à la lecture, qui se charge de plonger le lecteur dans un contexte historique pourtant complexe ! On sent d’ailleurs le gros travail de documentation qu’a fourni l’auteur (cf bibliographie en fin d’ouvrage). Preuve en sont, en plus des informations historiques relatées, les coutumes et rites celtes que l’on appréhende au fil des pages : déroulement d’une cérémonie funéraire, importance des druides dans la communauté, relations homosexuelles et polygamies ancrées dans les mœurs etc.

Boudicca dresse le portrait d’une femme déterminée et atypique pour son époque ! Son évolution s’avère passionnante à observer, d’autant qu’on nous conte tous les aspects de sa destinée et ce de manière très claire. Le roman est ainsi structuré en trois parties : fille de roi (28-43 après J.-C.), épouse et mère (44-59 après J.-C.), reine et guerrière (60-61 après J.-C.). Ainsi, d’une fillette peu sûre d’elle et en manque d’amour paternel, elle deviendra une reine respectée et soucieuse de son peuple, tout en incarnant une guerrière d’envergure, en plus d’être mère. Si elle intrigue par son caractère prononcé et sa volonté d’être l’égale des hommes en tout point, les relations qu’elle entretient avec nombre de personnages secondaires sont enrichissantes et formatrices :  le druide Prydian se charge de l’éduquer et de lui prodiguer ses conseils, Ysbal , une féroce guerrière, veille sur elle depuis toujours, tandis que son amante Jousse lui offre ses bras réconfortants.

« Chaque femme et chaque homme est forgé deux fois : la première fois par les mots des autres, la seconde par ceux que nous gardons en nous-mêmes. »

Au final, Jean-Laurent Del Socorro se contente de citer certaines batailles nécessaires pour repousser les envahisseurs Romains, mais insiste peu sur la dimension épique de celles-ci, n’en offrant qu’un vague aperçu. (et c’est tant mieux à mon sens !)

☞ Femme d’exception au destin marquant, Boudicca est inspirante et nous offre une porte d’entrée vers la culture celte au moment même où ces peuples voient leurs traditions leur échapper petit à petit. Une vraie réussite !

The Promised Neverland t.01 : une mise en bouche intéressante !

The Promised Neverland t.01; par Kaiu Shirai & Posuka Demizu
Publié chez Kazé, 2018

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Emma, Norman et Ray coulent des jours heureux à l’orphelinat Grace Field House. Entourés de leurs petits frères et soeurs, ils s’épanouissent sous l’attention pleine de tendresse de « Maman », qu’ils considérent comme leur véritable mère. Mais tout bascule le soir où ils découvrent l’abominable réalité qui se cache derrière la façade de leur vie paisible ! Ils doivent s’échapper, c’est une question de vie ou de mort !

 

 

Vu l’intensité médiatique autour de ce titre depuis des mois (il existe même un site dédié à la série), j’étais fermement décidée à mettre la main dessus dès sa sortie et j’ai eu bien raison -d’après mon libraire- ! En revanche difficile d’en parler correctement sans prendre le risque de tout spoiler…

On peut dire que ce premier tome lance efficacement l’intrigue, puisque le lecteur est happé dès les premières pages par cette histoire sombre et dérangeante, l’ambiance horrifique étant d’ailleurs contrastée par la naïveté et l’innoncence des enfants présents. Si quelques indices sont dissimulés dans le premier chapitre quant à la nature du fameux secret, je ne m’attendais pas du tout à cette révélation !
Le mangaka regorge de bonnes idées et sait jouer avec nos nerfs : le rythme effréné de ce premier opus annonce une attente infernale en vue des prochains tomes !

Dans une ambiance anxiogène au possible, c’est une véritable course contre la montre qui s’engage pour Emma, Ray et Norman : ils ont deux mois pour s’échapper de Grace Field House, ou ils mourront.
Très charismatique et attachant, le trio compte parmi les enfants les plus âgés et futés de la structure. Chacun va ainsi apporter une compétence différente, mais complémentaire à ses camarades dans la plannification de leur fuite : Norman, fin stratège, est un peu le génie de l’orphelinat, Ray fait preuve d’un grand sens de l’observation de beaucoup de sang-froid, tandis qu’Emma, plus sentimentaliste, compense par son agilité hors-norme.

Attention, « Maman » n’est pas en reste pour autant ! Glaçante de self control, cette mère de substitution est la reine du poker face ! 

Quant à Posuka Demizu, elle insuffle aux enfants des bouilles rondes et innocentes qui tranchent parfaitement avec l’horreur des « démons ». Le charadesign est très bon et le détail des expressions faciales douloureux de réalisme !

☞ Annoncée comme « la » série révélation de l’année The Promised Neverland se démarque de la production actuelle. Nulle magie ou personnages contrôlant des supers pouvoirs ici, le trio de héros ne peut compter que sur leur intelligence pour parvenir à sauver leur peau ! L’intrigue complexe, l’écriture efficace et les nombreux faux semblants font de ce titre un début de série très enthousiasmant dont on attend impatiemment la suite !

Les Cancres de Rousseau

Les Cancres de Rousseau ; de Insa Sané
Publié aux Éditions Sarbacane, 2017 – 331 pages

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1994, Sarcelles, Djiraël en est sûr, cette année sera exceptionnelle. Il entre en terminale, dans la même classe que ses potes Sacha, Jazz, Rania et les autres. En plus, la belle Tatiana semble enfin réponde à ses avances… Cerise sur le gâteau, le prof principal, c’est monsieur Fèvre – le seul qui s’intéresse à eux. Bref, c’est parti pour une année d’éclate… sauf que parfois, plus on prévoit les choses, moins elles se passent comme on le pensait.

Un grand merci aux Editions Sarbacane -et particulièrement à Julia- pour l’envoi de ce livre plein de verve !

Si j’ai bien compris, le roman s’inscrit dans un ensemble d’autres textes (Sarcelles-Dakar, Du plomb dans le crâne, Gueule de bois, Daddy est mort…) qui, ensemble, forment la « Comédie Urbaine » de l’auteur. Si chacun met en scène plus ou moins les mêmes personnages, tous les titres peuvent pourtant se lire indépendament les uns des autres.

Ce qui saute d’abord aux yeux dans Les Cancres de Rousseau, c’est la justesse du ton employé. Le texte n’en paraît que plus authentique, Insa Sané usant beaucoup du langage de la rue, sans jamais en faire trop. Avant de se mettre à écrire, l’auteur a fréquenté le monde de la musique, et cela se sent dans la manière qu’il a d’insuffler à son texte des airs de slam par moments ! C’est donc avec un réel  plaisir que le roman peut se lire, mais aussi se laisser écouter à voix haute : prêtez-vous à l’exercice, ça change tout !

Côté personnages, j’ai complètement craqué pour Djiraël ! Sa langue bien pendue, son humour ravageur et son côté irrévérencieux en font un narrateur génial. Cette dernière année de lycée pour lui et ses potes, c’est l’occasion où jamais d’être heureux ensemble, d’exister ensemble, et il a tout prévu pour que ce soit grand, que ce soit grisant et à la hauteur de leurs espérances.

« Pour moi… ça ne signifiait rien, à vrai dire. Rien si tous ces enfoirés n’étaient plus à mes côtés ! En revanche cette année restait ma dernière chance de faire enfin tourner la roue dans mon sens, le bon. Car s’il est vrai que l’homme n’est que poussière d’étoiles, je voulais croire que nous, les cancres de Rousseau, étions nés pour briller -un jour. »

A côté de ça, c’est aussi sa fragilité qui le rend si accessible. Au fil des pages, sa carapace se fissure et laisse entrevoir la personne qu’il aimerait devenir, mais dont les choix et leurs conséquences sont incertains.

Force est de constater que ce n’est pas le seul personnage auquel on s’attache irrémédiablement. Toute sa petite bande m’a fait le même effet, sans doute parce qu’ils sont tous imparfaits à leur manière : les failles et les espoirs de chacun se révèlent petit à petit, leur offrant plus de profondeur.

Le roman se fait le reflet véritable d’une réalité sociale trop souvent représentée de manière clichée (mais si, tu sais bien : les voitures crâmées, la violence et les drogues omniprésentes etc.). Allez, on éteint le JT deux minutes et on découvre se dont il est vraiment question ici. Parce qu’au delà de ce qu’on pense, être fils/fille d’immigré en France aujourd’hui c’est surtout :

– subir les railleries du corps enseignant et ne pas être pris au sérieux : big up à Monsieur Fèvre, le seul professeur qui ne les prend pas pour des quiches et s’intéressent véritablement à eux.
– être fréquemment arrêté par la police pour « contrôle de routine », juste parce que ta tête ne leur revient pas
– se voir refuser l’entrée d’un resto ou établissement un peu chic parce que tu ne corresponds pas au standing de l’établissement (autrement dit tu fais trop racaille !)

Bien que l’intrigue se déroule au début des années 1990 (ce dont je ne m’étais pas aperçue, n’ayant pas lu la quatrième de couverture !), le propos s’avère complètement d’actualité et c’est pour moi un raison suffisante pour se plonger dans le roman !

Mais Les Cancres de Rousseau, c’est aussi un roman sur l’adolescence, ses espoirs, ses doutes et ses angoisses. Toute la bande de Djiraël se bat pour son futur et bouillonne d’une furieuse envie de vivre.

☞ Pas de doute, Insa Sané signe un roman pertinent et authentique, dénué des clichés habituels sur la banlieue, accompagné de personnages porteurs de grandes valeurs. Avec un rythme enlevé et beaucoup de justesse et d’humour, il livre un message fort qui permet au lecteur de remettre en perspective beaucoup de ses préjugés.

 

Rencontre avec : Balthazar, figure phare de la littérature jeunesse

D’âge indéterminé, toujours vêtu de son éternel bonnet bleu aux longues oreilles, il a fêté ses 20 ans d’existence en 2016, figure dans une cinquantaine d’ouvrages à ce jour et intègre la pédagogie Montessori à son propos : c’est Balthazar !

Récemment mis à l’honneur dans une exposition à la Médiathèque de Moulins (03) jusqu’au 23 juin prochain, j’ai eu envie de vous livrer un petit compte rendu des infos glânées sur place lors de la rencontre avec les mamans de Balthazar !

Brouillons commentés par l’éditeur, crayonnés et illustrations originales sont de la partie dans cette exposition qui revient sur la naissance de Balthazar et de Pépin. Je l’ai trouvée très mignonne et suis restée en admiration plusieurs minutes devant certains dessins. Malgré tout, un peu plus d’explications ou de volumes auraient été les bienvenus (je n’aurais pas appris grand chose si je n’avais pas assisté à la rencontre avec les autrices juste après ça).

La genèse du projet


Balthazar, c’est d’abord l’histoire d’une rencontre : celle de Marie-Hélène Place et de Caroline Fontaine-Riquier. La première passe une bonne partie de son enfance à Londres, et étudie le stylisme, tandis que la seconde se consacre a une école d’art et se montre désireuse de créer des illustrations de livres pour enfants. Leur parcours respectif les mène au milieu de la mode, notamment chez Cacharel, où elles vont exercer ensemble durant des années.

Confrontée à la dyslexie d’un de ses enfants et sensible à la pédagogie Montessori, Marie-Hélène Place relance alors son amie et c’est ensemble qu’elles montent un dossier pour ce qui sera les débuts de Balthazar et Pépin. Rapidement, les éditions Hatier jeunesse se montrent intéressées par le projet, et encouragent les créatrices à imaginer d’autres histoires : la série des Balthazar est née. 

Balthazar, naissance du personnage


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Ayant entre 3 et 6 ans (même si ce n’est jamais clairement mentionné dans les livres), volontairement non genré, Balthazar représente l’Enfant en général, de manière à ce que chaque lecteur puisse s’y identifier plus facilement.

Il était important qu’il s’agisse d’un héros posé, serein et dôté d’une certaine paix intérieure, de manière à coller avec la pédagogie mise en place par Maria Montessori, sans quoi le propos n’aurait pas été cohérent!

Les autrices ont voulu également voulu le représenter vêtu d’une espèce de costume de super-héros afin qu’il soit reconnaissable d’emblée, même présenté parmi d’autre personnages. Dans la réalité, son petit costume ressemble davantage à une barboteuse, et il quitte rarement son fameux bonnet bleu aux longues oreilles. Ces dernières étant sensées mieux rendre compte de ses émotions : les oreilles tombantes indique une certaine tristesse, alors que sa joie est exprimée par des oreilles relevées. 

Montessori au coeur du propos


Soucieuse de permettre au plus grand nombre d’avoir accès aux bases de la pédagogie Montessori à laquelle elle adhère complètement, Marie-Hélène Place propose des livres d’apprentissage interractifs, reprennant les bases du travail de Maria Montessori : à savoir, favoriser l’autonomie de l’enfant, et le laisser explorer son environnement de manière sensorielle.

Que ce soit dans la collection « Aide-moi à faire seul », première née des aventures de Balthazar ou dans les albums de fiction, chaque histoire se veut respectueuse de la pédagogie Montessori dans l’approche qu’elle propose.

Focus sur « Bébé Balthazar »


En 2014, la collection « Bébé Balthazar » vient compléter l’offre existante. Destinée aux tout-petits, elle offre un format cartonné tout à fait adapté aux petits mains, sans pour autant laisser de côté l’aspect esthétique des ouvrages. Brodés à la main, avec une jolie couverture en carreaux Vichy, leurs illustrations douces et rassurantes ont tout pour séduire (y compris les parents !).

Certains titres incluent des éléments tactiles, puisque c’est un des aspects les plus défendus par Maria Montessori : appréhender son environnement au moyen de ses sens, invitant ainsi l’enfant à être acteur de sa lecture. Au fur et à mesure de son parcours, bébé pourra ainsi toucher pour se rendre compte des choses, rapprocher des situations de bases (la toilette, le repas…) à son propre quotidien, puis saisir complètement l’histoire qui lui est racontée.

Si tous les titres sont très mignons, j’avoue que Ecoute le silence m’a particulièrement séduite ! L’histoire invite l’enfant au calme en prettant attention aux bruits qui l’entoure, ou qu’il produit : frappe dans les mains, battements du coeur, chuchotements, grattement contre du carton ondulé, en finissant par le silence (qui s’écoute lui aussi !).

Une chose est sûre, beaucoup de tendresse se dégage de ces petits livres : ils proposent des moments de concentration et de complicité pour appréhender les choses dans un climat rassurant. Accessibles dès la naissance, ils accompagneront progressivement l’enfant jusqu’à ses 3 ans dans tous les aspects possibles de son quotidien.

Et maintenant ?


Des projets en vue, les autrices en ont des dizaines ! Marie-Helène Place compte bien poursuivre sa série de premières lectures phonétiques dont on peu déjà retrouver deux coffrets dans le commerce :

Le principe ?  Chaque histoire -de niveau de difficulté 1, 2 ou 3- présente un texte court et accessible, joliment illustrés, avec des mots composés uniquement d’un son ou graphème à travailler (le « ch » par exemple). Ainsi, l’enfant ne se trouve pas pas en position de difficulté et peut déchiffrer seul les mots en écriture cursive, tout en découvrant le plaisir de la lecture individuelle. Chaque histoire à venir dans cette collection sera mis en image par un illustrateur différent, sous réserve qu’il/elle accepte de se conformer à l’esprit Montessori dans son travail graphique.

En parallèle de ça, Hatier souhaite continuer à développer les jeux éducatifs basés sur la pédagogie Montessori : il s’agit de coffrets pédagogiques pensés pour stimuler la mémoire mais aussi la concentration et le langage via des cartes thématiques à classer. 


Voilà ce que j’ai pu retenir de cette rencontre très enrichissante (je n’avais pas pensé à  me munir d’un carnet pour prendre des notes, vous pouvez me traiter de blogueuse en carton !) J’espère que cet article vous aura plu et vous donnera envie de découvrir l’univers de Balthazar -pour ma part je suis repartie avec deux albums dédicacés sous le bras, oups!-.

L’atelier des sorciers t.01 : un récit prometteur !

L’Atelier des sorciers t.01; par Kamone Shirahama
Publié chez Pika Editions, 2018

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Coco a toujours été fascinée par la magie. Hélas, seuls les sorciers peuvent pratiquer cet art et les élus sont choisis dès la naissance. Un jour, Kieffrey, un sorcier, arrive dans le village de la jeune fille. En l’espionnant, Coco comprend alors la véritable nature de la magie et se rappelle d’un livre de magie et d’un encrier qu’elle a achetés à un mystérieux inconnu quand elle était enfant. Elle s’exerce alors en cachette. Mais, dans son ignorance, Coco commet un acte tragique ! Dès lors, elle devient la disciple de Kieffrey et va découvrir un monde dont elle ne soupçonnait pas l’existence !

Les plus :

Si le début de l’histoire semble assez « cliché » (enfant qui se découvre des capacités particulières, gniagniagnia), le récit ne tarde pas à prendre une direction un peu différente, mettant en avant ses propres codes. Le système de magie, notamment, m’a complètement charmée : nulle baguette nécéssaire à l’accomplissement de sorts, mais seulement un porte-plume et un encrier, puisque les enchantements se dessinent selon un pattern bien précis !

☞ La mangaka réussit, en quelques pages seulement, à poser les bases de son univers magique un peu médiéval, sans pour autant noyer le lecteur sous de multiples informations ! C’est simple et pourtant tellement dépaysant…

☞ Les dessins de Shirahama possèdent un trait très réaliste, elle apporte un soin particulier à ses décors (cette campagne ! 💛), tout en présentant de manière originale ses personnages. Et que dire des découpages hyper dynamiques qui donnent aussi du rythme au récit ?

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©9èmeArt
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©9èmeArt

☞ Le rythme justement, est parfaitement maitrîsé : on a donc le plus grand mal à ne pas dévorer le tome en quelques minutes seulement !

☞ Toutes les précisions relatives à la composition et au tracé des pentagrammes magiques sont fournies, pour le plus grand plaisir du lecteur !

La mangaka soulève des questions intéressantes quant à la pratique de la magie, en particulier sur la question de l’inné et de l’acquis : en principe seuls les personnes nées sorcier.e.s ont des aptitudes et sont capables d’étudier cette science. Mais alors qu’en est-il de Coco ? Est-elle condamnée à pratiquer sans aucun résultat probant ou peut-elle s’améliorer à force de volonté ?

X Les moins :

☞ Une vague impression de « déjà-vu » se dégage de certains passages. Rien de dramatique en soi, Kamone Shirahama proposant une oeuvre suffisamment fraîche et originale.


Il n’y a pas à dire, L’Atelier des sorciers est une jolie mise en bouche ! La mangaka met en place un univers efficace avec ses propres singularités, dont on sent déjà tout le potentiel. Quant à  l’histoire, elle a tout lieu de convenir à un large panel de lecteurs puisqu’on y parle aussi bien de voyage initiatique, que de magie et de sombre complot. Une série à suivre avec attention donc !

Les Geôliers : le roman qui donne l’impression d’un bad trip !

Les Geôliers; de Serge Brussolo
Publié aux Éditions Folio SF, 2017 – 491 pages

Brussolo


Il y a quinze ans, Debbie Fevertown s’échappait de Dipton après avoir tué sans pitié son mari et ses deux fils. Aujourd’hui, Jillian Caine est engagée par le réalisateur Dieter Jürgen pour écrire le scénario d’un biopic retraçant la vie de la meurtrière.
Jill rencontre des gens qui ont connu Debbie et ont partagé son quotidien, se rend sur les lieux du crime et découvre que la réalité n’est peut-être pas celle que les médias ont décrite à l’époque. Quels mystères recèle l’étrange ville de Dipton ?

 

Lu dans le cadre du Prix Imaginale des bibliothèques, ce roman -ma première découverte de la plume et l’univers de Serge Brussolo- reste à ce jour, je crois, l’expérience de lecture la plus perturbante que j’ai eue ! Le roman m’a interpellée à plusieurs reprises, et même plusieurs jours après l’avoir terminé, je ne suis toujours pas sûre d’avoir les mots pour le qualifier (du coup j’ai truffé cet article de gifs pour que la pilule passe mieux 😉 ).


☞ L’antichambre de l’enfer


« Il connaît la devise des Geôliers : rien ne doit entrer, rien ne doit sortir »

Imaginez une bourgade américaine coupée de tout, en bordure de forêt. Là-bas vous ne trouverez aucun accès internet ou mobile, mais des traditions ancestrâles vis à vis des arbres, et d’étranges bûchers disséminés ça et là en ville. Les habitants protègent farouchement leur communauté très fermée et flirtent avec l’obscurantisme. Ca y est, vous y êtes ? Bienvenue à Dipton ! (Vous restez, non ?)

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On mélange et ça donne ?…du Brussolo !


Du thriller au surnaturel il n’y a qu’un pas, que l’auteur franchit aisément. Les Geôliers est donc un roman hybride que l’on peine à qualifier : une louche de thriller, un soupçon de science-fiction et une bonne pincée de fantastique feraient-elles l’affaire ? 

A ma grande surprise, l’enquête autour du meurtre commis par Debbie Fevertown ne représente au final qu’une partie infime du roman, et Serge Brussolo ne tarde pas à laisser place à l’action : tournage à Dipton, relations tendues avec les locaux jusqu’à ce que tout dérape.

Mais quelle imagination foisonnante ! Sans spoiler quoique ce soit, si vous ouvrez Les Geôliers, vous aurez droit à un discours sur les extraterrestres, à un mystérieux culte autour des arbres, à une communauté étrange coupée du reste du monde, et à des monstres grotesques, rien que ça !

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Une progression contrastée


Si j’ai peiné à m’immerger dans l’histoire, le mystère s’épaissisant autour de Dipton m’a pourtant happée au bout de quelques chapitres. La mise en place peut paraître lente, mais les péripéties ne tardent pas à s’enchaîner, et la tension narrative qui s’installe subtilement est telle que je n’ai pas pu faire marche arrière avant d’avoir le fin mot de l’histoire ! 

Ajoutez à ça l’ambiance lourde -presque malsaine par moments- qui s’insinue au fil des pages, et vous aurez une idée de mon état pendant la lecture :

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☞ Rêve ou réalité ?


Les Geôliers est de ces romans qui mettent à mal la perception du réel ! Si la première partie du roman est la plus réaliste, Serge Brussolo en profite aussi pour nous faire douter de tout… Ainsi, les témoignages recueillis par Jillian dans le cadre de son enquête prennent des allures d’élucubrations de cinglés tandis que le doute s’installe en même temps chez l’héroïne. Délire paranoïaque ou  vérité monstrueuse ? C’est la question qui taraude le lecteur pendant presque 500 pages 😉 

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Ça vous rappelle quelque chose ?

☞ Comportements humains


C’est finalement une belle étude sociale à laquelle nous convie l’auteur : tous les personnages du roman sont surprenants à leur manière, et plus complexes qu’il n’y paraît au premier abord.

Dieter, par exemple, est certainement le protagoniste le plus loufoque, malsain et fantasque du récit. Il représente à lui seul bon nombre de déviances humaines, et pourtant…

Quant à Jillian, elle gagne sa vie en écrivant : autrement dit elle n’a rien de l’heroïne badass que l’on attendrait dans ce genre d’aventure. Au contraire, elle tient plus de l’héroïne du quotidien à laquelle on s’identifie facilement : ses hésitations la rendent d’autant plus proche du lecteur, lui aussi décontenancé par les évènements.  


☞ ‘tention c’est pas tout rose


Il est temps d’émettre quelques réserves, car vient un moment où le récit en fait un peu trop : des incohérences ressortent, les coups de théâtre sont un peu évidents, et décrédibilisent du même coup certaines situations.

J’aurais aussi aimé en apprendre davantage sur le « fonctionnement » des arbres, certains points restant plutôt obscurs, même si ne gênant pas le récit en soi. (#jechipote)


Les Geôliers ressemble ni plus ni moins à un formidable trip sous acide ! 😀 Original et plutôt réussi, la peur n’y est jamais bien loin et l’ambiance quasi hypnotique du roman a tôt fait de nous faire perdre pied avec la réalité. Une chose est sûre : les promenades en forêt n’auront plus la même saveur désormais !

En bref :
– un mélange des genres qui fait son petit effet
– des personnages moins simplistes qu’en apparence
 ✘ – une longue mise en place un peu décourageante

J’ai égaré la lune 🌜

J’ai égaré la lune; de Erwan Ji
Publié aux Éditions Nathan, 2018 – 364 pages

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Quand j’étais petite, j’imaginais ma vie à vingt ans. J’irais à la fac à New York, je partagerais une petite chambre avec une coloc râleuse, et mon copain m’appellerait chérie.

Je viens d’avoir vingt ans. Je vais à la fac à Tokyo, je partage une grande maison avec six colocs géniaux, et ma copine m’appelle ma petite otarie.

Alors oui, je suis peut-être pas très forte en imagination de vie. Mais tu sais quoi ? C’est pas grave. La vie, c’est comme une blague. C’est plus rigolo quand t’as pas deviné la fin.

 

Souvenez-vous, il y a quasiment un an, je vous cassais les pieds h24 pour vous convaincre de lire J’ai avalé un arc-en-ciel parce que c’était « trop génial » et qu’on avait « jamais lu quelque chose de similaire avant ». Eh bien la sortie du deuxième roman d’Erwan Ji est l’occasion de réitérer mon appel 😀 Grâce aux Editions Nathan (et à l’auteur !) j’ai pu découvrir J’ai égaré la lune avant sa parution, et tout ce que je peux en dire c’est : 


☞ On prend les mêmes et on recommence !


La brève introduction donne le ton, on retrouve Puce deux ans après le début de J’ai avalé un arc-en-ciel (JAUAEC, pour que vous suiviez), prête à reprendre du service sur son blog. Rien n’a changé, ou presque : on s’apprête à suivre les pérégrinations de Puce et Aiden à Tokyo, où elles vont vivre plusieurs mois dans le cadre d’un échange universitaire. 

Encore une fois, le ton cocasse et si particulier de Puce en fait une héroïne que l’on adore dès les premières lignes. Rajoutez à cela l’emploi du tutoiement, et vous aurez l’impression de la connaître depuis toujours ! (c’est d’autant plus vrai quand vous avez lu JAUAEC avant, mais forcément vous l’avez lu ! Non ?…)

« La vie ce n’est pas attendre que les orages passent, c’est apprendre
à danser sous la pluie. »


☞ Auberge espagnole à la japonaise


Avec un humour incomparable et des opinions très affirmées, Puce décrit son quotidien japonais et nous enchante de ses bourdes linguistiques ! Il faut dire qu’elle se retrouve perdue en terre étrangère, quasiment livrée à elle-même : handicapée par une langue qu’elle ne parle pas, elle expérimente diverses petites galères administratives qui feront certainement sourire les gens ayant déjà vécu une expérience d’expatrié !

D’ailleurs, l’immense colocation que déniche la jeune fille aux côtés de six autres personnes aux nationalités variées (Américains, Coréens, Philippins, Grecs, Français…) n’est pas sans rappeler le film « L’auberge espagnole ». La diversité culturelle de ses camarades de maison est d’ailleurs souvent source de débat ou d’anecdotes amusantes au fil des chapitres.


☞ Bienvenue au Japon !


Les explications relatives aux différences linguistiques participaient au charme de JAUAEC, et Erwan Ji reprend le même principe dans son nouveau roman. Sachant qu’il a lui-même vécu au Japon, l’expérience de lecture est d’autant plus réaliste ! 

Si comme moi la culture japonaise vous est totalement inconnue, vous aurez donc le plaisir de découvrir l’existence des konbinis, des love hotels, ou encore des chikan (l’équivalent des pervers qui sévissent dans les transports en commun). Vous apprendrez également fonctionnement les Japonais adoptent pour leur système d’écriture, et vous serez (peut-être comme moi) abasourdis de voir que Tokyo met à disposition des wagons réservés aux femmes aux heures de pointe, pour leur éviter de se retrouver confrontées à des chickans !

En parallèle de ça, Puce analyse toujours certains termes anglais, et se confie sur la difficulté relative à penser en plusieurs langues, ce qui lui mélange parfois un peu les pinceaux. 


☞ Vivre, tout de suite


Ce séjour au Japon, c’est aussi l’occasion, pour notre héroïne, de s’interroger sur le sens de la vie, de réfléchir à ses envies et à son futur. On suit le cheminement de ses réflexions existentielles, et j’ai trouvé qu’elle abordait parfois des sujets étonnamment matures pour son âge.

On dit souvent que les voyages forment la jeunesse, mais l’expression n’a jamais pris autant de sens qu’avec le personnage de Puce !

« De retour aux Etats-Unis, j’avais eu l’impression d’aller à l’étranger, et en revenant au Japon, de rentrer à la maison. Je pensais qu’un échange international signifiait s’accommoder de ne pas être chez soi pendant neuf mois, en fait c’est pas ça du tout. Vivre dans un autre pays, c’est apprendre à se sentir chez soi ailleurs. »

☞ Erwan Ji continue sur sa lancée et offre une excellente suite à JAUAEC ! Dans la même veine que le film « L’auberge espagnole », il propose un récit de vie d’une grande sensibilité, dans lequel Puce expérimente les doutes de cette période transitoire à mi-chemin entre l’adolescence et l’âge adulte. J’ai égaré la lune fait partie de ces bulles de bonheur desquelles on aimerait ne jamais sortir tant les personnages paraissent  authentiques et touchants. 

En bref :
– le regard franc de Puce sur son environnement
– un humour omniprésent
– des tonnes d’anecdotes relatives à la culture japonaise
– des pistes de réflexion sur la vie après la mort ou la manière d’envisager sa vie…